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MULTI-HABITATS
Les Habitations Jeanne-Mance
par Arthur Boche

Historique

À l’aube des années 1950, la ville de Montréal compte un million d’habitants. Sa structure urbaine est pourtant modeste et archaïque. L’insalubrité est un problème majeur et les conditions d’accès au logement sont déplorables. La Ville de Montréal forme alors un comité afin d'éradiquer les taudis et de construire des logements sociaux. En 1954, le Rapport Dozois, commandé par la Ville, identifie 13 zones de taudis.

Dans ce rapport, la zone du faubourg Saint-Laurent, délimitée par les rues Ontario, Saint-Denis, Sainte-Catherine et Saint-Urbain, est désignée comme prioritaire. Le Plan Dozois, un plan d’aménagement, est réalisé afin de reconstruire la zone. Cette grande opération comprend 1388 logements permettant de reloger tous les résidents du quartier. Cependant, Jean Drapeau, opposé au renouvellement du centre-ville par la construction résidentielle, bloque le projet le temps de son premier mandat (1954-1957).

 

En 1957, le nouveau maire Sarto Fournier autorise la construction d’une nouvelle opération commandée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Les Habitations Jeanne-Mance sont financées conjointement par le Gouvernement fédéral, le Gouvernement provincial et la Ville de Montréal pour un budget total de 18 millions de dollars. La construction commence en 1958 et s’achève en 1961.

 

Description

L’ensemble des Habitations Jeanne-Mance se situe à Montréal dans l’arrondissement Ville-Marie. Il est situé à proximité des secteurs animés du quartier des spectacles et du quartier latin. Le site délimité par les rues Saint-Dominique, Ontario, Sanguinet et de Boisbriand est divisé en deux îlots par le boulevard de Maisonneuve.

Le terrain de huit hectares est plat. Les bâtiments y sont implantés en retrait des voies publiques et alignés suivant la trame urbaine orthogonale de la ville, au sein d’un espace végétal abondant.

 

L’ensemble représente un parc locatif de 796 logements pouvant abriter 3200 personnes, répartis suivant trois types bâtis : la barre d’habitation de 12 à 14 étages, la conciergerie de trois étages et la maison en rangée avec jardin privé. Ces différents bâtiments sont séparés en cinq zones comportant chacune une barre d’habitations, un espace de stationnement et une aire de jeux.

Ces zones résidentielles sont unifiées au moyen de deux parcs urbains (Toussaint-Louverture et Paul-Dozois) et d’un jardin communautaire aménagés de part et d’autre du boulevard de Maisonneuve. L’intégration de l’art est très présente sur le site (murales, céramiques et sculptures).

 

Les lignes de force verticales des barres d’habitations contrastent avec les horizontales dominantes des bâtiments de faible hauteur. Malgré la diversité typologique, la cohésion de l’ensemble est maintenue par l’emploi des matériaux extérieurs. Il existe deux nuances de briques sur cet ensemble : le brun-beige et le rouge-orangé. Les édifices de faible hauteur présentent également des éléments de parement en bois marquant certaines ouvertures.

 

Rother/Bland/Trudeau, architectes-urbanistes

Le plan d’ensemble et l’aménagement paysager des Habitations sont réalisés par l’agence montréalaise, Rother, Bland, Trudeau architectes et urbanistes, choisie en 1957. Cette jeune firme créée en 1953, était notamment connue pour la conception de l’ancien hôtel de ville d’Ottawa (1956-58) et plus tard, le dessin de la nouvelle ville de Port-Cartier (1957-60).

John Bland (1911-2002) est diplômé de l’Université McGill en architecture et de l’Architectural Association School de Londres en urbanisme. Il exerce la profession d’architecte à Londres avant de travailler pour le London County Council. Lorsqu’il rentre à Montréal, il devient enseignant (1939-1978), puis directeur (1941-1972) de l’école d’architecture de l’Université McGill.

Vincent Rother (1912-1959) est diplômé de l’Université McGill en ingénierie, du Massachusetts Institute of Technology en sciences, et de l’Architectural Association School de Londres en architecture. Il exerce la profession d’architecte à Londres pendant douze ans avant d'installer son agence à Montréal en 1948.

Charles Trudeau (1922-1994), est diplômé de l’école des Beaux-arts de Montréal et de la Harvard Graduate School of Design. Il travaille quelques temps à l’agence de Vincent Rother avant de devenir, avec John Bland, son associé en 1953.

 

Le développement mixte

Le développement mixte est un modèle de planification urbaine élaboré en Angleterre pendant l’entre-deux-guerres. Appliqué par le London County Council, il prône la diversité typologique pour une même opération de logement. Quatre types bâtis sont promus : la maison en rangée ; l’appartement sur deux niveaux ; l’immeuble de faible hauteur ; et la barre ou la tour d’habitations.

Le développement mixte émane de l’influence de l’architecture moderne continentale sur la tradition pittoresque britannique. Ce mouvement s’élabore alors autour de deux modèles : la cité-jardin et le Zeilenbau. Tous deux hérités de la pensée hygiéniste, l’accent est mis sur la circulation de l’air, l’apport lumineux et la présence d’espaces verts. Le développement mixte reprend alors des principes forts de la cité-jardin tels que la volonté de tirer avantage de la ville et de la campagne qui permet d’amener la végétation et l’espace au centre-ville. Le développement mixte hérite du Zeilenbau la volonté de fournir des logements lumineux aux habitants. Ce désir se traduit par l’orientation du bâti sur un axe nord-sud favorisant l’apport de lumière naturelle. Le bâti est orienté suivant le soleil et non plus suivant la trame urbaine. Dans la même optique, l’accent est mis sur la forme, le type et la disposition des bâtiments. L’immeuble rectangulaire de grande hauteur est favorisé, permettant un apport lumineux dans toutes les pièces avec une forte densité. La disposition du bâti est calculée en fonction de l’ensoleillement et de l’ombre portée.

 

L’application montréalaise

Les formations de Bland et Rother à Londres durant l’entre-deux-guerres, et la pratique de Bland au London County Council permet d’établir une  filiation sérieuse entre ce modèle de planification et les Habitations Jeanne-Mance.

En effet, la diversité typologique mettant en scène trois des quatre types développés en Angleterre et le placement libre des bâtiments au sein d’un espace ouvert végétal révèlent une application directe des principes fondateurs du développement mixte. L’orientation du bâti ne prend cependant pas en compte l’ensoleillement mais conserve l’alignement des rues, dans un respect profond de la trame urbaine montréalaise.

 

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Références

Boche, Arthur, L’urbanisme britannique moderne, travail de recherche, Montréal, UQAM, DES7000, mars 2017, 13 p.

Boche, Arthur, Les Habitations Jeanne-Mance, travail de recherche, Montréal, UQAM, DES7204, avril 2017, 24 p.

Choko, Marc H., Les Habitations Jeanne-Mance, un projet social, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1995, 128 p., ill.

Glendinning, Miles et Stefan Muthesius, Tower Block : modern public housing in England, Scotland, Wales and Northern Ireland, New Haven, Yale University, 1994, 420 p., ill.

Panerai, Philippe, et al, Formes urbaines, de l’îlot à la barre, Marseille, Parenthèses, 2009, 192 p., ill.

Rother Bland Trudeau, architectes-urbanistes, Les Habitations Jeanne-Mance – projet 542, Montréal, 1957-1960, 27 dessins, supports et échelles variables. CAC McGill, projet 542.

Référence images:

1. Croquis des Habitations Jeanne-Mance © dessin : agence R/B/T, 1958. CAC - projet 542.

2. Croquis des Habitations Jeanne-Mance © dessin : agence R/B/T, 1958. CAC - projet 542.

3. Le Plan Dozois : plan initial des Habitations © dessin : anonyme, 1954. Docomomo - dossier HJM.

4. Type bâti : la maison en rangée © photo : Arthur Boche, 2017.

5. Type bâti : la conciergerie © photo : Arthur Boche, 2017.

6. Type bâti : la barre d'habitations © photo : Arthur Boche, 2017.

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