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MULTI-APPROCHES
La pratique contemporaine de la restauration du patrimoine moderne: Défis et approches en rapport à la restauration du mur-rideau en Europe et en Amérique du Nord
par Manuela Senese

Problématique

À travers quatre projets phares en Europe et en Amérique du Nord, quelles sont les approches proposées par les architectes contemporains en réponse aux divers enjeux de la restauration de murs-rideaux modernes?

 

Hypothèse

Le mur-rideau est un des éléments architecturaux caractéristiques de la modernité et sa restauration présente plusieurs enjeux à la fois, comme la préservation de l’authenticité conceptuelle et/ou matérielle, la conservation de la transparence physique et virtuelle, la mise à jour des technologies constructives.

La recherche menée sur cette question a tenté de faire un constat des pratiques de la restauration en Europe et en Amérique du Nord à travers l'étude de quatre cas parmi les plus significatifs du début des années 2000. Les paires d’édifices, similaires par leur type bâti, opposent chacune un exemple européen à un américain: le Zonnestraal Sanatorium (Hilversum, Pays-Bas) versus le Pavillon du Lac-aux-Castors (Montréal, Canada) ; le Gratte-ciel Pirelli (Milan, Italie) versus la Lever House (New York, États Unis).

Cette analyse a permis de définir deux grandes écoles de pensée qui se traduisent en deux approches divergentes. En Europe, on assiste à une tentative de conservation de l’authenticité à la fois matérielle et conceptuelle du mur-rideau, suivant l’idée que la restauration doit être une discipline unitaire fondée sur des critères communs pour la 'restauration traditionnelle des monuments' et la restauration du 'nouveau'. Au contraire, en Amérique du Nord, l’authenticité conceptuelle est celle privilégiée, l’image est l’aspect valorisé au détriment de l’aspect matériel original.

 

Sanatorium Zonnestraal

Le Sanatorium Zonnestraal, conçu par l’architecte Jan Duiker et l’ingénieur Bernard Bijvoet, est bâti entre le 1928 et 1932 pour répondre à la fonction de centre de soin de la tuberculose. Le sanatorium était conçu pour ne durer que quelques décennies, le temps estimé pour éradiquer cette maladie, et son obsolescence était prévue depuis sa conception. Le complexe est un emblème de l’architecture moderne de l’époque pour sa conception fonctionnaliste, pour l’emploi d’une structure en béton armé et le vaste usage d’acier et de verre. En 1957 il est transformé en hôpital général et, définitivement abandonné dans les années 1980, il tombera peu à peu en ruine.

Depuis 1995, les architectes Wessel de Jonge et Hubert-Jan Henket étudient un plan directeur pour transformer le Zonnestraal en centre de santé, dans le respect de la vocation de l’architecture originale. L’édifice central accueillera des fonctions publiques et représentatives, alors que les chambres maintiendront leur fonction. Pour les deux architectes il s’agit de la première restauration de ce type, mais leur approche est devenue un exemple de processus vertueux. La restauration est amenée à travers une vaste recherche historique pour bien comprendre le projet initial et son évolution, avec une sensibilité égale à celle qu’on a pour les architectures anciennes. En 2001, les travaux de restauration commencent dans l’édifice principal et, par rapport au mur-rideau, ils élaborent différentes solutions, selon l’approche « cas par cas ». Les châssis originaux étaient préfabriqués en acier, mais modifiés en chantier, avec un module de 1,5 m, une profondeur de 25 mm et un vitrage simple. Où cela était nécessaire, les châssis ont été reconstruits en acier, avec une profondeur de 32/37 mm pour accueillir un double vitrage. Le verre avec les caractéristiques les plus similaires à celui des années 1920 a été trouvé en Lituanie et il est utilisé simple dans les zones qui ne requièrent pas une climatisation attentive (les espaces de circulation) et double dans le reste des cas. Pour le vitrage double, ils ont utilisé, à l’extérieur, le verre importé de Lituanie et, à l’intérieur, un verre flotté incolore avec un adhésif neutre résistant aux rayons UV.

 

Pavillon du Lac-aux-Castors

Le Pavillon du Lac-aux-Castors est situé dans le site patrimonial du Mont-Royal et il a été conçu par les architectes Hazen Sise et Guy Desbarats, deux des plus célèbres architectes modernes au Québec. Le projet du pavillon s’inscrit dans le cadre du plan de réaménagement du parc du Mont-Royal, visant à moderniser ses infrastructures et à offrir plusieurs services aux visiteurs. L’implantation du pavillon maximise les caractéristiques topographiques du site, il est adossé sur un côté dans le talus du mont, alors que la façade principale s’ouvre sur le lac aux Castors. Bâti entre 1955 et 1958, le pavillon est toujours resté la propriété de la Ville de Montréal et il a conservé une bonne intégrité physique jusqu’aux années 1990.

À la fin des années 1990, suite à une menace de démolition, un Comité consultatif est créé pour élaborer un projet de restauration du Pavillon du Lac-aux-Castors, première intervention de ce genre au Québec. Parmi les thématiques de l’intervention, un des principaux problèmes est la conservation de la transparence du pavillon. Même si les baies vitrées originales étaient doubles, elles n’étaient pas performantes selon les standards actuels et devaient être remplacées. Les meneaux originaux en aluminium étaient quant à eux rouillé et percés par endroit. Le choix est tombé sur la substitution complète avec de nouveaux châssis en aluminium anodisé clair. Cependant, les architectes chargés du projet, Réal Paul et Pierina Saïa, ont décidé de recouvrir les nouveaux meneaux avec un capuchon qui reprend à l’extérieur la forme du meneau original, offrant aussi une meilleure isolation. Le capuchon est dessiné et fabriqué artisanelment avec la collaboration de la firme A & D Prevost. Les travaux sont exécutés entre 2004 et 2006, et, ensuite à l’inauguration, une journée d’étude est organisée par le DESS en architecture moderne et patrimoine, permettant une diffusion de cette réalisation exemplaire auprès du grand public. Le projet a reçu le prix Orange remis par l’organisme Sauvons Montréal en 2006, de même qu’un Prix d’excellence en architecture, catégorie Conservation et restauration, décerné par l’Ordre des architectes du Québec en 2007.

 

Gratte-ciel Pirelli à Milan

Le gratte-ciel Pirelli représente est l'un des plus importants exemples d'architecture moderne italienne de l'après-guerre. En 1950, le président de la société Pirelli décide de réaliser un nouveau siège et le projet est confié à l’architecte Giò Ponti, en collaboration avec l’ingénieur Pier Luigi Nervi. La construction se déroule entre le 1956 et le 1960, la structure porteuse est en béton armé, choix inédit pour l’époque, lorsque l’acier était préféré pour réaliser des structures similaires. Le plan possède une forme polygonale pour des raisons fonctionnelles, structurelles, mais surtout formelles. La façade reflète le concept d’architecture « cristalline » de Ponti et est caractérisée par un mur-rideau en aluminium et un revêtement en tesselles vitreuses.

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En 2002 un petit avion s’écrase contre le gratte-ciel Pirelli et, même si la structure résiste à l’impact, toute la façade est compromise. À la suite du tragique événement, le projet de restauration est étendu à tout le bâtiment. Pour accompagner les architectes Corvino+Multari et le Renato Sarno Group, la Région constitue une Commission technique-scientifique qui, depuis le début, affirme vouloir entreprendre une restauration respectueuse de l’œuvre architecturale. Cette approche n’était pas obligée, étant donné qu’au moment de l’intervention les cinquante ans qui sanctionnent l’obligation à la protection des bâtiments n’étaient pas encore passés. En général, la ligne suivie par le projet prévoyait la conservation de la matière originale en fonction de la sauvegarde de l’image symbolique. En particulier pour le mur-rideau, ils ont opté pour le démontage complet, la restauration en atelier et le remontage in situ. Chaque élément est identifié et marqué afin de garantir un parfait repositionnement. En fait, bien qu’il s’agisse de matériaux préfabriqués, avec le temps chaque élément a subi une déformation différente et la recomposition de la façade n'était possible qu'à travers une sorte d’anastylose. Chaque élément d’aluminium a été remis en état en usine, les vitrages ont été substitués avec de nouvelles vitres doubles à faible émission ayant les mêmes caractéristiques de transparence et couleur et de nouveaux joints sans solution de continuité ont été insérés.

 

Lever House

La Lever House de New York, bâtie entre 1950 et 1952, a été conçue par l’architecte Gordon Bunshaft de la firme SOM (Skidmore, Owings et Merrill). Ce gratte-ciel est le deuxième à utiliser un mur-rideau à New York, après celui du Secrétariat des Nations Unis, terminé en 1950, et représente une nouvelle étape dans l’histoire de la modernité, incarnant le nouveau type de la tour de bureaux. Son mur-rideau est représentatif des techniques constructives de pointe disponibles durant le deuxième après-guerre. Une structure secondaire en acier est attachée à l’extérieur de la structure principale du bâtiment pour composer une grille dans laquelle s'insèrent des bandes de verre opaques et transparentes.

Le développement technologique a porté bientôt la Lever House dans un état d’obsolescence et, bien qu’il soit reconnu en 1982 comme landmark officiel par la New York City Ladmarks Preservation Commission, cela n'empêchait pas de considérer la possibilité de démolir le gratte-ciel. Une première proposition de rénovation prévoit d’envelopper la façade existante avec un nouveau mur-rideau plus externe d’environ 20 cm pour ensuite démolir le mur-rideau ancien. Cette idée fut bientôt abandonnée puisque les proportions du bâtiment seraient trop changées, compromettant l’image consolidée de la tour. En 1998, on a décidé d'engager de nouveau SOM, l'agence qui avait réalisé la tour en 1950-1952, afin de concevoir une proposition de remplacement du mur-rideau. La structure verticale en acier est maintenue, un nouveau profil d’aluminium extrudé prend la place des anciens châssis et un nouveau capuchon en acier inoxydable recouvre le mur-rideau. Avec le temps les panneaux de verre ont été changés de façon impropre, souvent en ne suivant pas les couleurs originales, et donc ils ont été remplacés par de nouveaux verres aux caractéristiques similaires aux anciens. Finalement, l'épaisseur de la façade a  6 mm de plus que l'originale.

Référence images:

1. Sanatorium Zonnestraal, Hilversum, NL © Photo : Sybolt Voeten, Michel Kievits, 2003.

2. Sanatorium Zonnestraal, Hilversum, NL © Photo : Bierman Henket Architecten, 2003.

3. Pavillon du Lac-aux-Castors, Montréal, CA © Photo : Frédéric Saia, 2006.

4. Gratte-ciel Pirelli, Milan, IT © Photo : Atlante dell’arte italiana, 2005.

5. Lever House, New York, US © Photo : Whitney Cox Photography , 2013.

6. Détail mur-rideau de la Lever House avant et après la restauration © Dessin : Manuela Senese, 2017.

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