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MULTI-INFLUENCES
Victor Prus: un architecte de la modernité
par Louis-Etienne Rose

L'architecte, d'origine polonaise, Victor Prus a contribué au développement et à l'avancement de l'architecture moderne québécoise. Émigré au Canada en 1952, en compagnie de sa femme et fidèle collaboratrice Maria Fisz Prus, il a réalisé de nombreux bâtiments, tels que les stations de métro Bonaventure (1966), Mont-Royal (1966) et Langelier (1971); il a également réalisé l'Autostade (1967) et le Grand Théâtre de Québec (1967-1971), tous des projets qui participèrent à la modernisation et à l'émancipation de la société québécoise. Formé en Europe, il a collaboré, dans ses premières années de pratique, avec divers architectes, dont un grand nom de l'architecture nord-américaine: Richard Buckminster Fuller. On peut alors se poser la question suivante : comment la formation académique et la rencontre avec l'architecte Buckminster Fuller sont-elles déterminantes dans le développement de la pensée architecturale de Prus et dans sa manière de concevoir l'architecture?

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L'approche architecturale de Victor Prus se caractérise par deux aspects importants. Dans un premier temps, elle se caractérise par une volonté d’offrir l’ambiance et l’expérience les plus adaptées possible à l’usager. Il rejette l’approche fonctionnaliste qui s’intéresse principalement aux questions programmatiques et de construction. Cette volonté de créer l'ambiance la plus adaptée à l'usager amène Prus à utiliser diverses stratégies, telles que l'usage de formes historiques ou urbaines traditionnelles, afin d'atteindre l'expérience désirée. Les projets de la station du métro Bonaventure et du centre commercial Rockland, par l'utilisation d'éléments rappelant le langage de la ville, en sont des exemples.

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Cette contestation du fonctionnalisme peut s’expliquer par l’architecture dominante au moment de sa formation à l’Université Technique de Varsovie, de 1935 à 1939 et de sa formation à la Polish School of Architecture de l’University of Liverpool, entre 1945 et 1946. Alors que, dans certains pays d'Europe, la période de l'entre-deux-guerres est marquée par le développement de l'architecture moderne (inspirée par les travaux de Le Corbusier et du Bahaus de Walter Gropius),  l'architecture polonaise s'inscrit dans un retour vers la tradition. L'acquisition, par la Pologne, de son indépendance en 1918 marque le développement d'une architecture nationale qui cherche à renforcer les aspirations du peuple polonais. Elle tire son inspiration de la Renaissance polonaise, du romantisme et du classicisme de la fin du XVIIIe siècle, période faste de la Pologne. Malgré le développement d’une avant-garde qui trouve écho dans les travaux du groupe PRAESENS et dans les universités, le modernisme polonais est fortement influencé par l’architecture dominante.

 

Sa formation à la Polish School of Architecture de la University of Liverpool s’inscrit dans cette continuité d’un modernisme influencé par la tradition. Cette école d'architecture, mise en place en 1942 par le gouvernement polonais en exil, a pour objectif de former des professionnels afin de participer à la reconstruction de la Pologne à la fin de la guerre. Le programme d'enseignement reprend une portion du cursus offert par l'école de Liverpool en y ajoutant divers cours spécifiques au contexte polonais, principalement axé sur l'architecture traditionnelle et l'histoire. L’enseignement de l’école de Liverpool est très influencé par la tradition des Beaux-Arts, qui trouve écho dans la société britannique de l’époque,  implantée par l’un de ses anciens directeurs, le professeur Charles  Herbert Riley (1874-1948). Pour ce dernier, cette architecture offre une très grande flexibilité qui permet d'adapter le vocabulaire Beaux-Arts aux avancées technologiques du modernisme naissant. L'arrivée de Budden à la direction de l'école, en 1933, marque peu à peu l'intégration de la pensée moderniste dans l'enseignement. Le contact avec la Polish School of Architecture consolide l'approche de l'école et de Budden quant à l'importance de la tradition comme vecteur de la formation.

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Le deuxième aspect important de la pensée de Prus est son intérêt pour l’environnement, plus particulièrement l’écologie humaine, que l’on peut définir comme l’étude de la relation entre les êtres humains et leur environnement. Cet aspect prendra deux formes, l’usage de formes inspirées de la nature pour la réalisation de projets ainsi que l’importance de l’usager dans la conception des projets de Prus.

 

Ce souci de la question environnementale peut être lié à l’influence de l'architecte américain Buckminster Fuller (1895-1983) sur le travail de Prus. Rencontrer par l’intermédiaire de l’architecte Jeffrey Lyndsay (1925-inconnu), membre de la Fuller Research Fondation, Prus assistera Fuller dans ses recherches à l’Université de Princeton, durant l’année 1953. Comme le rapportera Prus dans Essays in architecture of condition, or What it's like to be an architect, « plusieurs inventions de Fuller s'inspirent de la nature», particulièrement les formes. L’usage de paraboloïdes hyperboliques, pour la toiture du Club de Voile de Senneville en 1961, de structures légères, pour les bâtiments de ferme de la Southern University en 1959, et de dômes géodésiques, pour l'abri des ours polaires du zoo de Granby en 1962, ne sont que quelques exemples de l’influence de Fuller sur le travail de Prus. Comme le rapporte Jacques Lachapelle dans l’article « L’oeuvre de Victor Prus » publié dans la revue ARQ d’août 1997, Prus délaissera l’aspect constructif inspiré de la nature et s’intéressera plus à la question de « l’écologie humaine, c’est-à-dire de l’architecture comme création d’un environnement dans lequel la vie peut prendre toute la place ».

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« The reality of architecture lies not so much in its physical form, the roof or the walls, not event ­in the spaces they enclose, but rather in the ambience that results from the entire process of ­building. An appropriate ambience must be our ultimate objective; just as making a home is the object of building a house. »

Victor Prus, Essays in architecture of condition, or What it's like to be an architect, 1996.

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« De nos jours où la recherche frénétique pour des formes architectoniques est si répandue, le formalisme connaît un règne absolu. Les modes apparaissent et rapidement disparaissent, car les différents '' ismes '' sont vides de substance et de sens. La vraie recherche doit commencer à la racine. […] La morphologie de l’architecture résultera de l’étude du processus écologique, de ses lois plutôt que de ses formes finales, de ses arrangements et les rapports d’objets plutôt que des objets eux-mêmes. »

Victor Prus, conférence « Quelques réflexions sur l'écologie humaine », Université Laval à Québec, 28 janvier 1964.

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Référence images:

1. Centre commercial Rockland (1er), Ville Mont-Royal, 1958-1960 © Photo: Pierre-Richard Bisson, 1979, UdeM,  Coll. Images d’aménagement, Dir. des bibliothèques.

2. Station de métro Bonaventure, Montréal, 1967 © Photo: Carlos Pineda, 1994, UdeM,  Coll. Images d’aménagement, Dir. des bibliothèques.

3. Autostade, Montréal, 1967 © Photo: Louis-Philippe Meunier, 1968, AVMTL, VM94-B39-001.

4. Église St. Augustine of Canterbury, Saint-Bruno de Montarville, 1966-1967 © Photo: Louis-Etienne Rose, 2015.

5. Capitainerie du Club de Voile Senneville, Senneville, 1961  © Photographie: Louis-Etienne Rose, 2016.

6. Grand Théâtre de Québec, Québec,1971 © Photo:  Jean Gagnon, Wikimedia Commons. / Recadrage de l’original.

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