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MULTI-CONNEXIONS
Place Ville-Marie: reflet des préoccupations des urbaniste modernes?
par Mathilde Moreau

Comment l’esplanade de Place Ville Marie, point de départ du Montréal souterrain et emblème du renouveau du centre-ville des années 60, est-elle le reflet des préoccupations des urbanistes et architectes modernes?

 

L’esplanade est remplie de dignitaires et de plusieurs milliers de spectateurs en ce 13 septembre 1962. Après sept ans d’efforts, l’immeuble de 42 étages, le plus haut du Commonwealth, est enfin inauguré. Cette première phase du développement du « trou du CN » n’a nullement empêché les trains de circuler durant la construction. La presse salue l’exploit, la prouesse et la beauté de l’édifice, qui permettent de mettre Montréal sur « la map » ainsi que la fierté de son nom francophone, associé à la fondation de la Ville. Mais il est impossible de réduire Place Ville Marie (PVM) à la tour cruciforme qui surplombe l’esplanade. C’est en effet bien plus que cela : un ensemble urbain multiniveaux, connecté avec son environnement et associé à une gestion de la circulation minutieusement planifiée.

 

Pour cela, Vincent de Pasciuto-Ponte (1919-2006), l’urbaniste de l’équipe d’architectes de I. M. Pei & Associates semble avoir appuyé sa conception sur deux inspirations majeures. L’une d’elles, vient des réflexions du VIIIe CIAM (Congrès International d’Architecture Moderne) qui a eu lieu à Hoddesdon en Angleterre en 1951 avec pour thème The heart of the City. L’avant-garde en architecture et en urbanisme a essayé de définir ce qui était nécessaire et fédérateur pour une communauté : un lieu de rassemblement, propice à son expression. Ponte voit dans la localisation stratégique de l’esplanade une façon d’encourager la communication, celle du face-à-face qui fait la richesse d’un centre-ville où l’on se déplace facilement à pied pour ses affaires. Ce lieu, qui selon les CIAM doit être celui où le sens de la communauté est physiquement exprimé, a la possibilité de devenir le « cœur de la ville », un point central vers lequel tout convergerait.

 

La deuxième inspiration est liée à la formation de l’équipe. Vincent Ponte, tout comme Ieoh Ming Pei (1917 — ) architecte principal et Henry N. Cobb (1926 — ) chargé de projet de PVM, est le pur produit de l’enseignement d’avant-garde dispensé à la Graduate School of Design (GSD) de Harvard où il est admis en 1947 à la maîtrise en urbanisme et planification régionale. C’est précisément la période où se déchirent le doyen de la faculté Joseph Hudnut et le professeur phare, Walter Gropius. Si les deux hommes étaient d’accord pour réformer l’école suivant les principes modernes et abandonner l’enseignement de type Beaux-Arts, il n’est pas question pour Hudnut de faire de la GSD, le « Bauhaus américain ». Contrairement à Gropius, il ne croit pas en une méthode universelle pour développer les villes. Il continue donc, au grand désespoir de son collègue, adepte de la table rase, de donner les cours d’histoire sur lesquels il invite ses élèves à s’appuyer pour comprendre le développement des villes, celles avec un centre dense, peuplé et convivial et y apporter des réponses pratiques.

 

C’est ainsi que l’esplanade, qui semble de prime abord très moderne, s’appuie en fait sur le positionnement classique d’une place publique s’inscrivant dans l’axe du mont Royal et de l’avenue McGill College, repris d’un plan d’ensemble réalisé en 1952 par l’urbaniste français Jacques Gréber (1882-1962). L’esplanade est un mixte de plusieurs modèles de places à travers le monde, de la classique par la perspective ouverte sur le mont Royal, de la pittoresque par son encadrement percé au coin De Maisonneuve O. et Cathcart et enfin moderne par sa spatialité ouverte vers le sud-est et par sa monumentalité. Elle est le résultat d’une pensée pragmatique qui ne fait pas table rase du passé, mais s’insère de façon plus complexe dans les contraintes du site qui en deviennent ses atouts.

 

Dans le plan directeur, les trois parcelles sont traitées comme une seule notamment pour la circulation. Les véhicules, qui entraînent une forte congestion en cette fin des années 1960, sont dirigés dans des rues dont le sens de circulation est repensé. C’est précisément le rôle de Ponte de réorganiser les différents flux du trafic selon leur vitesse pour plus d’efficacité et ainsi alimenter les édifices de Pei. Ponte considère d’ailleurs le tri des différents modes de transport comme une priorité.

Un réseau piétonnier, qui donnera plus tard naissance à une véritable ville dans la ville, est une continuité de celui déjà amorcé entre l’hôtel Le Reine Elizabeth et la gare Centrale et lie les différents édifices au nœud de transports en commun en passant par des galeries marchandes. Une route souterraine est d’ailleurs créée pour relier ces deux points.


L’esplanade de la Place Ville Marie est le reflet des préoccupations modernes puisqu’elle suit les préceptes des CIAM qui pensaient qu’un « noyau » était vital pour un centre-ville. Sa fonction publique (sur un terrain privé), mais également multifonctions, par sa tour désaxée en forme de croix inspirée de Le Corbusier accentuant la tectonique de l’espace et son rapport plein-vide, ainsi que par son « alimentation » s’insérant dans un plan de circulation beaucoup plus large (avec les autoroutes rentrant dans les quartiers centraux) et marquant la séparation des modes de transport en sont la preuve. Multiniveaux et connectée au reste de la ville, elle fut et reste à ce jour un lieu incontournable du « cœur » économique de Montréal, tirant sa force de sa relation avec le mont Royal.

Référence images:

1. PVM, © photo : Mathilde Moreau.

2. Le trou du CN, 1930, © Musée McCord.

3. Esquisse de la vue de l’esplanade sur le Mont-Royal et de l’avenue McGill, 1957, Université de Montréal. © Place Ville Marie.

4. Le plan directeur du projet PVM, 1957, Université de Montréal. © Place Ville Marie.

5. L’esplanade de PVM mise en comparaison avec d’autres grandes places, Université de Montréal. © Place Ville Marie.

6. Vues de l’esplanade Place Ville Marie, 1962, © SITQ - Place Ville Marie.

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